Accueil Culture «Rossellini. Hergla et le cinéma», de Abderrazak Khéchine : «L’air y est si doux qu’il empêche de mourir…» 

«Rossellini. Hergla et le cinéma», de Abderrazak Khéchine : «L’air y est si doux qu’il empêche de mourir…» 

Quand partout la machine éditoriale  continue de déverser son flot de publications envahissantes, pas toujours utiles, pas toujours de bonne qualité, il reste tout de même des éditeurs, en Tunisie comme ailleurs, qui, en dépit des difficultés que connaît l’édition, tiennent à faire de beaux livres, des livres qui plaisent à la fois aux yeux, au toucher et à l’esprit, qu’on lit avec plaisir et qu’on offre  à ceux qu’on aime comme des joyaux, des foulards en soie ou des flacons de parfum rare…

«Rossellini. Hergla et le cinéma», soigneusement et richement édité, cette année, par «Contraste Editions», est de toute évidence parmi ces livres de bonheur qu’on aime acquérir et dont on aime  enrichir sa bibliothèque personnelle, surtout si l’on est, à l’instar de Abderrazak Khéchine et ses partenaires («Caravanes Productions», «Association Culturelle Afrique Méditerranée», «Ciné-Sud patrimoine» et «Rencontres Cinématographiques de Hergla») féru de cinéma ou fan du célèbre magicien du 7e art,  Roberto Gastone Zeffiro Rossellini  (1906-1977) qui est ici à l’honneur dans ce superbe album–photos-textes de grand format (24X29) où tout est beau et admirablement réussi et qui, par son encre, ses images, ses couleurs et tous ces personnages marquants, extraits de films ou photographiés avec une grande habileté en marge de tournages et qui semblent comme flotter dans une espèce d’état de grâce, ne pourrait que susciter tous les éloges.

Car le mérite du concepteur et réalisateur de cette publication documentaire n’est pas mince et nombreux sont les bénéfices à en tirer pour l’histoire du cinéma mondial comme pour le glorieux parcours de ce maître du néo Réalisme italien. Un maître largement connu et reconnu et dont le nom est maintenant solidement arrimé à ce magnifique petit village côtier situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Sousse, en Tunisie, et où il était venu, tels d’autres réalisateurs européens et «poètes de l’image», tourner des films, vers la fin des années 60 et au tout début des années 70 du siècle dernier, et réaliser ces scènes qui sont entrées dans la légende du cinéma et que les photos qui meublent cet album ont fixé—grâce à leur netteté, leur précision, leurs reliefs, leur profondeur, la dextérité du photographe qui les a pris et surtout leur aptitude à donner à rêver—dans la postérité.

«Quatre-vingt-neuf photos de Carlo Fioretti (…) et seize photogrammes tirés du film «Viva la Muerte» (avant-propos), nous plongent dans l’ambiance biblique des villages de Hergla et de Takrouna, sa voisine» et contribuent «à la sauvegarde de la mémoire visuelle de ce village» (Ibid.), auquel ce livre rend hommage, en même temps que la plaque, à la mémoire de Rossellini qu’il appose dans ces images merveilleuses et ces textes de très bon niveau rédactionnel et où plusieurs cinéastes ont su, en témoignant sur cette époque, conférer l’éclat de l’expression bien tournée, à leurs récits et pensées. En arabe, en français et en italien, les textes-témoignages qui constituent, avec les photos à la grande valeur expressive,  cet ouvrage, sont de véritables morceaux de bravoure qui nous éclairent sur cette époque cinématographique et qui créent en nous, lecteurs, un inapaisable désir d’aller découvrir ou redécouvrir ce petit village tunisien magiquement «tourné vers la mer» (Ibid.) où ont été tournés ces films mythiques et où «L’air est si doux qu’il empêche de mourir» (p. 29), tel que le remarquait  au cinéaste tunisien Abdellatif Ben Ammar le «Maestro» Roberto Rossellini, le captif amoureux de Hergla. Les auteurs de ces textes-témoignages mettant en lumière cette époque dont beaucoup ont aujourd’hui une nostalgie vivace, et célébrant ce village à la grâce toute poétique, «beau à couper le souffle (et qui) offrait l’éphémère blanc à l’éternité bleue» (Ibid.), ne sont pas des moindres. Ils s’appellent Mohamed Challouf (directeur des «Rencontres Cinématographiques de Hergla»), Carlo Fioretti (1er assistant du directeur photo sur le film «Les actes des Apôtres» tourné en 1968, à Hergla), Hédi Besbes (1er assistant de Rossellini dans le film précité), Abdellatif Ben Ammar (1er assistant de Rossellini dans le film «Le Messie»), Pino Bertucci (Chef électricien sur les deux films précités), Mohamed Kouka (acteur et homme de théâtre), Amm Hédi Bessaad (citoyen de Hergla), Monique Farhat (marraine des «Rencontres Cinématographiques de Hergla»), Jean-Louis Combès (photographe et ancien directeur du Centre des Arts Tunisiens de Djerba), Férid Boughedir (cinéaste et critique de cinéma) et Hassen Daldoul (directeur de production de «Viva la Muerte).

Voici donc un livre de qualité éditoriale et documentaire supérieure qui nous montre, à travers de vives photos parlantes, la manière dont Hergla, «ses maisons, ses ruelles, ses artisans et ses métiers à tisser»(Ibid.) ont été filmés par cet immense cinéaste d’Italie et l’ambiance magique, onirique, des tournages dans ce village, mais qui, en même temps, nous emmène sur les terres fabuleuses, inépuisables, du rêve.

«Rossellini. Hergla et le cinéma », projet de Mohamed Challouf, photos de Carlo Fioretti, textes d’un collectif d’auteurs, conception et suivi technique de Abderrazak Khéchine, calligraphie du titre arabe de Amor Jomni, 143 pages, format 24X29, 2022. ISBN : 978-9973-878-74-8.

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